Petite éloge des séries télé, Martin Winckler


Auteur: Martin Winckler
Titre Original: Petite éloge des séries télé
Date de Parution : 20 Septembre 2012
Éditeur : Folio
Nombre de pages : 128
Prix : 2,00€ 1,90€

Quatrième de couverture : «Quelques-uns des droits inaliénables du sériephile (avec mes remerciements à Daniel Pennac) : Le droit de regarder sans être jugé ou méprisé. Le droit d’aimer (ou de détester) sans devoir se justifier. Le droit de revoir indéfiniment ses épisodes préférés. Le droit de considérer certains personnages comme des amis intimes. Le droit de rire, de pleurer, de souffrir, d’espérer en regardant un épisode et, une fois qu’il est terminé, de se sentir compris et valorisé, éclairé et informé

Quelques-uns des droits du sériephile (en hommage à Daniel Pennac dans Comme un roman ) :
Le droit de regarder des séries de toutes natures (et pas seulement celles que « les intellectuels » ou les « spécialistes » trouvent réussies).
Le droit de regarder une série quand on veut, comme on veut, où l'on veut et à l’abri de toute censure.
Le droit de regarder sans être jugé ou méprisé.
Le droit de démarrer une série au quart de tour et puis de décrocher ; le droit de prendre une série en route après avoir longtemps reculé ou hésité.
Le droit d'aimer (ou de détester) sans devoir se justifier.
Écrites, tournées et diffusées en léger différé avec leur époque, les séries télévisées, tout comme le théâtre, la littérature, le cinéma et la bande dessinée, portent un regard sur le monde, encore plus contemporain, encore plus incisif : les meilleures séries sont des témoins stimulants de l’état du monde. Elles sont souvent audacieuses dans leur construction et leur propos volontiers impertinent, acide. Dans des séries anciennes, on peut ainsi se rappeler le badinage sexuel d’Emma Peel et John
Steed dans Chapeau Melon et bottes de cuir ; la révolte métaphysique du n°6 face au lavage de cerveau politique dans Le Prisonnier ; les jeux subliminaux autour de l’imagerie gay des Mystères de l’Ouest ; la satire de la guerre froide dans Agents très spéciaux ; la description de la noirceur de l’humanité et de ses dilemmes dans La Quatrième Dimension et Star Trek). Des séries récentes comme Urgences et House, M.D. soulignent sans relâche les dilemmes éthiques et les conflits de pouvoirs suscités par les progrès de la technologie du soin, la surenchère biomédicale, les inégalités d’accès et le rôle des structures et professionnels de santé.


Mélo, Frédéric Ciriez


Auteur: Frédéric Ciriez
Titre Original: Mélo
Date de Parution : 3 janvier 2013
Éditeur : Verticales
Nombre de pages : 328
Prix : 20,00€ 19,00€

Quatrième de couverture : La veille du 1er mai 2013, deux hommes et une femme circulent dans les rues de Paris et de sa proche banlieue : un syndicaliste au bord du suicide, un sapeur congolais chauffeur de camion-poubelle et une jeune Chinoise vendeuse de briquets. Trois personnages qui se croisent à peine et vont bientôt glisser dans la nuit. Quel feu les consume ? Mélo. Avec sa langue incarnée, généreuse et imagée, Frédéric Ciriez s'impose ici comme un témoin de l'infra-ordinaire, des invisibles qui hantent notre réalité.

La femme parfaite est une connasse, Anne-Sophie Girard et Marie-Adeline Girard


Auteur: Anne-Sophie Girard et Marie-Adeline Girard
Titre Original: La femme parfaite est une connasse
Date de Parution : 13 février 2013
Éditeur : J’ai lu
Nombre de pages : 160
Prix : 5,00€ 4,75€

Quatrième de couverture : Ce livre est le guide pour toutes les femmes imparfaites. Vous y découvrirez notamment des théories comme "la jurisprudence de la frange", "la théorie du pot de cacahuètes" ou encore le concept universel du "foutu pour foutu", mais vous apprendrez aussi "comment garder sa dignité quand on est complètement bourrée", "comment réagir devant un bébé laid", ou "les questions qu'il ne faut pas poser à un homme si on ne veut pas entendre les réponses".

Alfred R. Wallace, l’explorateur de l’évolution : 1823-1913, Peter Raby


Auteur: Peter raby
Titre Original: Alfred R. Wallace, l’explorateur de l’évolution : 1823-1913
Date de Parution : 21 février 2013
Éditeur : Éditions de l’Evolution
Nombre de pages : 443
Prix : 24,00€ 22,80€

Quatrième de couverture : Lorsqu'en 1858 Darwin reçoit, paniqué, une liasse de pages décrivant avec précision le mécanisme de la sélection naturelle, rédigées par l'un de ses propres collecteurs d'insectes, Alfred Russel Wallace, que va-t-il se passer ? Et quel genre d'homme fallait-il être, que fallait-il avoir accompli pour comprendre en une pincée d'années, du fond des îles Moluques, ce mécanisme majeur de l'évolution qui tenait Darwin en haleine depuis vingt ans ? Lorsqu'il embarque pour l'Amazonie à 25 ans, Wallace n'est pas seulement un intrépide aventurier sans fortune : naturaliste autodidacte, il a déjà clairement en tête de se mesurer aux mystères de l'évolution, à commencer par celui de la géographie des espèces. Alors, à la machette et au scalpel, Peter Raby nous embarque dans l'exploration de l'étrange évolution du vivant, de l'Amazonie aux îles Célèbes, entre malaria, naufrages et chasse aux insectes, papillons et autres animaux. Puis dans la non moins étrange et hasardeuse exploration de l'esprit, quand l'infatigable chercheur, revenu en Angleterre, en convoquait les forces invisibles. Et enfin dans l'exploration de la personnalité complexe de ce savant dont les observations mobilisent aujourd'hui même des équipes entières de biologistes et généticiens et qui, un jour et une fois pour toutes, avait choisi Darwin.

Stéphane Hessel nous a quittés


C'est avec une énorme tristesse que j'apprends la disparition de Stéphane Hessel, homme de lettres et de convictions. 

Stéphane Frédéric Hessel, né le 20 octobre 1917 à Berlin est décédé la nuit de mardi à mercredi 27 février 2013 à l’âge de 95 ans. Il fut un diplomate, ambassadeur, résistant, écrivain et militant politique français.

Né allemand, Stéphane Hessel arrive en France à l’âge de 8 ans. Naturalisé français en 1937, normalien, il rejoint les forces françaises libres en 1941 à Londres. Résistant, il est arrêté et déporté à Buchenwald puis à Dora et ne doit la vie qu’à une substitution d’identité avec un prisonnier mort du typhus et à son évasion.

Il entre au Quai d’Orsay en 1945 et fait une partie de sa carrière diplomatique auprès des Nations unies (dont le siège est à l'époque installé en France, à Paris au Palais de Chaillot) où il assiste comme témoin privilégié à la constitution de la charte des droits de l’homme et du citoyen. Homme de gauche et européen convaincu, il est ami de Pierre Mendès France et Michel Rocard.

Stéphane Hessel est connu du grand public pour ses prises de position concernant les droits de l’homme, le problème des « sans-papiers » et le conflit israélo-palestinien ainsi que pour son manifeste Indignez-vous ! paru en 2010, au succès international.

Il est l’auteur d’un grand nombre de pamphlets qui sont d’ores et déjà des classiques.
-         Indignez-vous (2010)
-         Engagez-vous ! (2011)
-         Le Chemin de l’espérance (2011)
-         Résistances (2011)
-         Vivez ! (2012)
-         EXIGEZ ! Un désarmement nucléaire total (2012)
-         Tous comptes faits.. ou presque (2012)

Journal intime d'une Call-Girl, Belle de Jour


Auteur: Belle du jour
Titre Original: Secret Diary of a Call Girl
Date de Parution : 7 mars 2013
Éditeur : Éditions Générales First
Prix : 17,90€ 17,01€

Quatrième de couverture : Scandaleuse pour certains, courageuse pour d’autres, Belle de Jour est une call-girl de luxe. Comme beaucoup d’étudiants fraîchement diplômés, à son arrivée à Londres, la jeune femme doit trouver un moyen rapide de gagner de l’argent. Par un hasard de la vie, pour elle, ce sera l’agence d’escortes.
Une activité qui devient vite un travail à plein temps tant il présente d’avantages : stabilité de l’emploi, grande indépendance, revenus maximum. Mais surtout, pour Belle de jour, loin de l’ennui mortel du bureau, c’est la promesse d’une vie sociale et sexuelle débridée.
En assumant son choix, même auprès de son compagnon, de ses amis et de ses ex-amants, elle y prend goût, plus qu’elle ne l’aurait imaginé...
Belle de Jour est le nom de plume de l’auteur. Arrivée à Londres en 2003 pour ses études, elle travaille comme call-girl de luxe et consigne ses aventures dans un blog élu « blog le mieux écrit de l’année » par The Guardian. Le succès de ce blog est tel qu’un livre tiré de ses confidences paraît, Journal intime d’une call-girl, qui sera lui-même adapté en série télévisée. Ce n’est qu’en 2009 que Belle de jour sort de l’anonymat et révèle au Sunday Times qu’elle est le Dr Brooke Magnanti, spécialiste en neurotoxicologie et épidémiologie du cancer au Bristol Initiative for Research of Child Health, et qu’elle a travaillé pour une agence d'escortes londonienne, alors qu'elle rédigeait sa thèse de doctorat.

A l'encre russe, Tatiana de Rosnay


Auteur: Tatiana de Rosnay
Titre Original: A l’encre russe
Date de Parution : 21 mars 2013
Éditeur : Éditions Héloïse d’Ormesson
Prix : 22,00€ 20,90€

Quatrième de couverture : 2006. Nicolas Duhamel souhaite renouveler son passeport. La démarche va se révéler aussi éprouvante que périlleuse. Ses parents étant nés à l’étranger, il doit prouver qu’il est bel et bien français. En prime, une stupéfiante découverte l’attend : son père n’est pas le fils de Lionel Duhamel, mais se nomme en fait Koltchine. Depuis vingt-quatre ans, Nicolas vit dans le mensonge. Pourquoi avoir savamment entretenu le secret ? Son père, surfeur hors pair, disparu au large de Guéthary quand il était encore enfant, n’est plus là pour lui répondre. Que savait-il d’ailleurs, ce père intrépide, des circonstances de sa naissance ? Quoi qu’il en soit, celles de sa mort en mer restent auréolées de mystère. Profondément secoué par ces révélations, qui ravivent la douleur de la perte, Nicolas se lance sur la piste de ses origines jusqu’à Saint-Pétersbourg. Contre toute attente, de cette enquête personnelle découlera un roman, publié sous le pseudo de Kolt, qui rencontrera un succès phénoménal et propulsera son auteur en tête des meilleures ventes.
2011. Un brin plus arrogant, un poil plus égoïste après trois ans sous les projecteurs, de Hollywood à Singapour, Nicolas Kolt a choisi de fêter l’anniversaire de sa fiancée au Gallo Nero, villégiature de rêve sur la côte toscane. Il espère y trouver l’inspiration pour son second roman, tant attendu (par ses parents, amis, lecteurs, éditeurs). Pendant trois jours où il croyait trouver luxe, calme et volupté, dans ce paradis pour happy few, Nicolas verra s’accumuler orages et périls, défiler sa vie et se jouer son avenir.

Clients inénarrables (du couple ostentatoire à la famille glamour), coulisses de l’édition (enchères et transferts), foire aux vanités (duel sur Facebook et Instagram du succès), jeux de séduction (professionnelle autant que sexuelle), Tatiana de Rosnay jongle avec les registres et les intrigues pour nous offrir le plus affriolants des romans à tiroirs. Réflexion sur l’identité mais aussi sur l’écriture, À l’encre russe démontre la puissance et la virtuosité de la romancière. Son spectaculaire roman gigogne marque le sacre de la reine du secret.


La Nuit, Guy de Maupssant


Guy de Maupassant est un écrivain français né le 5 août 1850 au château de Miromesnil à Tourville-sur-Arques (Seine-Inférieure) et mort le 6 juillet 1893 à Paris.
Lié à Gustave Flaubert et à Émile Zola, il a marqué la littérature française par ses six romans, dont Une vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-1888, mais surtout par ses nouvelles, (parfois intitulées contes), comme Boule de suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887). Ces œuvres retiennent l’attention par leur force réaliste, la présence importante du fantastique et par le pessimisme qui s’en dégage le plus souvent mais aussi par la maîtrise stylistique. La carrière littéraire de Guy de Maupassant se limite à une décennie – de 1880 à 1890 – avant qu’il ne sombre peu à peu dans la folie et ne meure à quarante-trois ans. Reconnu de son vivant, Guy de Maupassant conserve un renom de premier plan, renouvelé encore par les nombreuses adaptations filmées de ses œuvres.
  
La Nuit
Cauchemar

    J'aime la nuit avec passion. Je l'aime comme on aime son pays ou sa maîtresse, d'un amour instinctif, profond, invincible. Je l'aime avec tous mes sens, avec mes yeux qui la voient, avec mon odorat qui la respire, avec mes oreilles qui en écoutent le silence, avec toute ma chair que les ténèbres caressent. Les alouettes chantent dans le soleil, dans l'air bleu, dans l'air chaud, dans l'air léger des matinées claires. Le hibou fuit dans la nuit, tache noire qui passe à travers l'espace noir, et, réjoui, grisé par la noire immensité, il pousse son cri vibrant et sinistre.
    Le jour me fatigue et m'ennuie. Il est brutal et bruyant. Je me lève avec peine, je m'habille avec lassitude, je sors avec regret, et chaque pas, chaque mouvement, chaque geste, chaque parole, chaque pensée me fatigue comme si je soulevais un écrasant fardeau.
    Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps m'envahit. Je m'éveille, je m'anime. A mesure que l'ombre grandit, je me sens tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde s'épaissir la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher.
    Alors j'ai envie de crier de plaisir comme les chouettes, de courir sur les toits comme les chats ; et un impétueux, un invincible désir d'aimer s'allume dans mes veines.
    Je vais, je marche, tantôt dans les faubourgs assombris, tantôt dans les bois voisins de Paris, où j'entends rôder mes soeurs les bêtes et mes frères les braconniers.

    Ce qu'on aime avec violence finit toujours par vous tuer. Mais comment expliquer ce qui m'arrive ? Comment même faire comprendre que je puisse le raconter ? Je ne sais pas, je ne sais plus, je sais seulement que cela est. - Voilà.
    Donc hier - était-ce hier ? - oui, sans doute, à moins que ce ne soit auparavant, un autre jour, un autre mois, une autre année, - je ne sais pas. Ce doit être hier pourtant, puisque le jour ne s'est plus levé, puisque le soleil n'a pas reparu. Mais depuis quand la nuit dure-t-elle ? Depuis quand ?... Qui le dira ? qui le saura jamais ?
    Donc hier, je sortis comme je fais tous les soirs, après mon dîner. Il faisait très beau, très doux, très chaud. En descendant vers les boulevards, je regardais au-dessus de ma tête le fleuve noir et plein d'étoiles découpé dans le ciel par les toits de la rue qui tournait et faisait onduler comme une vraie rivière ce ruisseau roulant des astres.
    Tout était clair dans l'air léger, depuis les planètes jusqu'aux becs de gaz. Tant de feux brillaient là-haut et dans la ville que les ténèbres en semblaient lumineuses. Les nuits luisantes sont plus joyeuses que les grands jours de soleil.
    Sur le boulevard, les cafés flamboyaient ; on riait, on passait, on buvait. J'entrai au théâtre, quelques instants, dans quel théâtre ? je ne sais plus. Il y faisait si clair que cela m'attrista et je ressortis le coeur un peu assombri par ce choc de lumière brutale sur les ors du balcon, par le scintillement factice du lustre énorme de cristal, par la barrière du feu de la rampe, par la mélancolie de cette clarté fausse et crue. Je gagnai les Champs-Élysées ou les cafés-concerts semblaient des foyers d'incendie dans les feuillages. Les marronniers frottés de lumière jaune avaient l'air peints, un air d'arbres phosphorescents. Et les globes électriques, pareils à des lunes éclatantes et pâles, à des oeufs de lune tombés du ciel, à des perles monstrueuses, vivantes, faisaient pâlir sous leur clarté nacrée, mystérieuse et royale, les filets de gaz, de vilain gaz sale, et les guirlandes de verres de couleur.
    Je m'arrêtai sous l'Arc de Triomphe pour regarder l'avenue, la longue et admirable avenue étoilée, allant vers Paris entre deux lignes de feux, et les astres ! Les astres là-haut, les astres inconnus jetés au hasard dans l'immensité où ils dessinent ces figures bizarres, qui font tant rêver, qui font tant songer.
    J'entrai dans le bois de Boulogne et j'y restai longtemps, longtemps. Un frisson singulier m'avait saisi, une émotion imprévue et puissante, une exaltation de ma pensée qui touchait à la folie.
    Je marchai longtemps, longtemps. Puis je revins.
    Quelle heure était-il quand je repassai sous l'Arc de Triomphe ? Je ne sais pas. La ville s'endormait, et des nuages, de gros nuages noirs s'étendaient lentement sur le ciel.
    Pour la première fois je sentis qu'il allait arriver quelque chose d'étrange, de nouveau. Il me sembla qu'il faisait froid, que l'air s'épaississait, que la nuit, que ma nuit bien-aimée, devenait lourde sur mon coeur. L'avenue était déserte, maintenant. Seuls, deux sergents de ville se promenaient auprès de la station des fiacres, et, sur la chaussée à peine éclairée par les becs de gaz qui paraissaient mourants, une file de voitures de légumes allait aux Halles. Elles allaient lentement, chargées de carottes, de navets et de choux. Les conducteurs dormaient, invisibles ; les chevaux marchaient d'un pas égal, suivant la voiture précédente, sans bruit, sur le pavé de bois. Devant chaque lumière du trottoir, les carottes s'éclairaient en rouge, les navets s'éclairaient en blanc, les choux s'éclairaient en vert ; et elles passaient l'une derrière l'autre, ces voitures, rouges d'un rouge de feu, blanches d'un blanc d'argent, vertes d'un vert d'émeraude. Je les suivis, puis je tournai par la rue Royale et revins sur les boulevards. Plus personne, plus de cafés éclairés, quelques attardés seulement qui se hâtaient. Je n'avais jamais vu Paris aussi mort, aussi désert. Je tirai ma montre, il était deux heures.
    Une force me poussait, un besoin de marcher. J'allai donc jusqu'à la Bastille. Là, je m'aperçus que je n'avais jamais vu une nuit si sombre, car je ne distinguais pas même la colonne de Juillet, dont le Génie d'or était perdu dans l'impénétrable obscurité Une voûte de nuages, épaisse comme l'immensité, avait noyé les étoiles, et semblait s'abaisser sur la terre pour l'anéantir.
    Je revins. Il n'y avait plus personne autour de moi. Place du Château-d'Eau, pourtant, un ivrogne faillit me heurter, puis il disparut. J'entendis quelque temps son pas inégal et sonore. J'allais. A la hauteur du faubourg Montmartre un fiacre passa, descendant vers la Seine. Je l'appelai. Le cocher ne répondit pas. Une femme rôdait près de la rue Drouot : "Monsieur, écoutez donc." Je hâtai le pas pour éviter sa main tendue. Puis plus rien. Devant le Vaudeville, un chiffonnier fouillait le ruisseau. Sa petite lanterne flottait au ras du sol. Je lui demandai : "Quelle heure est-il, mon brave ?"
    Il grogna : "Est-ce que je sais ! J'ai pas de montre."
    Alors je m'aperçus tout à coup que les becs de gaz étaient éteints. Je sais qu'on les supprime de bonne heure, avant le jour, en cette saison, par économie ; mais le jour était encore loin, si loin de paraître !
    "Allons aux Halles, pensai-je, là au moins je trouverai la vie."
    Je me mis en route, mais je n'y voyais même pas pour me conduire. J'avançais lentement, comme on fait dans un bois, reconnaissant les rues en les comptant.
    Devant le Crédit Lyonnais, un chien grogna. Je tournai par la rue de Grammont, je me perdis ; j'errai, puis je reconnus la Bourse aux grilles de fer qui l'entourent. Paris entier dormait, d'un sommeil profond, effrayant. Au loin pourtant un fiacre roulait, un seul fiacre, celui peut-être qui avait passé devant moi tout à l'heure. Je cherchais à le joindre, allant vers le bruit de ses roues, à travers les rues solitaires et noires, noires, noires comme la mort.
    Je me perdis encore. Où étais-je ? Quelle folie d'éteindre sitôt le gaz ! Pas un passant, pas un attardé, pas un rôdeur, pas un miaulement de chat amoureux. Rien.
    Où donc étaient les sergents de ville ? Je me dis : "Je vais crier, ils viendront." Je criai. Personne ne répondit.
    J'appelai plus fort. Ma voix s'envola, sans écho, faible, étouffée, écrasée par la nuit, par cette nuit impénétrable.
    Je hurlai : "Au secours ! au secours ! au secours !"
    Mon appel désespéré resta sans réponse. Quelle heure était-il donc ? Je tirai ma montre, mais je n'avais point d'allumettes. J'écoutai le tic-tac léger de la petite mécanique avec une joie inconnue et bizarre. Elle semblait vivre. J'étais moins seul. Quel mystère ! Je me remis en marche comme un aveugle, en tâtant les murs de ma canne, et je levais à tout moment mes yeux vers le ciel, espérant que le jour allait enfin paraître ; mais l'espace était noir, tout noir, plus profondément noir que la ville.
    Quelle heure pouvait-il être ? Je marchais, me semblait-il, depuis un temps infini, car mes jambes fléchissaient sous moi, ma poitrine haletait, et je souffrais de la faim horriblement.
    Je me décidai à sonner à la première porte cochère. Je tirai le bouton de cuivre, et le timbre tinta dans la maison sonore ; il tinta étrangement comme si ce bruit vibrant eût été seul dans cette maison.
    J'attendis, on ne répondit pas, on n'ouvrit point la porte. Je sommai de nouveau ; j'attendis encore, - rien.
    J'eus peur ! Je courus à la demeure suivante, et vingt fois de suite je fis résonner la sonnerie dans le couloir obscur où devait dormir le concierge. Mais il ne s'éveilla pas, - et j'allai plus loin, tirant de toutes mes forces les anneaux ou les boutons, heurtant de mes pieds, de ma canne et de mes mains les portes obstinément closes.
    Et tout à coup, je m'aperçus que j'arrivais aux Halles. Les Halles étaient désertes, sans un bruit, sans un mouvement, sans une voiture, sans un homme, sans une botte de légumes ou de fleurs. - Elles étaient vides, immobiles, abandonnées, mortes !
    Une épouvante me saisit, - horrible. Que se passait-il ? Oh ! mon Dieu ! que se passait-il ?
    Je repartis. Mais l'heure ? l'heure ? qui me dirait l'heure ? Aucune horloge ne sonnait dans les clochers ou dans les monuments. Je pensai : "Je vais ouvrir le verre de ma montre et tâter l'aiguille avec mes doigts." Je tirai ma montre... elle ne battait plus... elle était arrêtée. Plus rien, plus rien, plus un frisson dans la ville, pas une lueur, pas un frôlement de son dans l'air. Rien ! plus rien ! plus même le roulement lointain du fiacre, - plus rien !
    J'étais aux quais, et une fraîcheur glaciale montait de la rivière.
    La Seine coulait-elle encore ?
    Je voulus savoir, je trouvai l'escalier, je descendis... Je n'entendais pas le courant bouillonner sous les arches du pont... Des marches encore... puis du sable... de la vase... puis de l'eau... j'y trempai mon bras... elle coulait... elle coulait... froide... froide... froide... presque gelée... presque tarie... presque morte.
    Et je sentais bien que je n'aurais plus jamais la force de remonter... et que j'allais mourir là... moi aussi, de faim - de fatigue - et de froid.
14 juin 1887